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Vaut-il mieux avoir un éditeur ou… avoir un éditeur ?

Derrière le caractère volontairement abscons et un peu provocateur de ce titre, se cache une réalité : cette question m’est souvent posée, même si sa formulation diffère.

Le milieu de la musique connait effectivement deux types d’éditeur : l’éditeur musical et l’éditeur phonographique.

Leur rôle est pourtant tout à fait différent.

L’interlocuteur de l’éditeur musical est l’auteur – qu’il faut entendre ici comme le créateur, c’est-à-dire le parolier et/ou le compositeur, alors que l’univers de l’édition phonographique est l’enregistrement.

I – L’éditeur musical : le manager de l’œuvre

« La réalité de l’édition musicale est, pour une large part, peu connue du grand public. La discrétion revendiquée de ses acteurs et la complexité de ses mécanismes y sont pour beaucoup[1]. »

  1. Le contrat d’édition

Aux termes de l’article L 132-1 du code de Propriété Intellectuelle, le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre ou de la réaliser ou faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion.

Les termes très concrets de cette définition rappelle le temps où l’édition n’était que littéraire et que les exemplaires se « fabriquaient ».

À l’origine, l’éditeur musical était la personne qui, ayant assuré la transcription de l’œuvre sur papier, vendait les partitions en vue de faire exécuter cette œuvre.

Cette obligation d’éditer des partitions perdure aujourd’hui, même si elle est marginale.

Le contrat d’édition est désigné par la loi comme l’un des contrats de transmission de droits d’auteur devant être constaté par écrit : le consentement de l’auteur doit être express.

Rien d’étonnant puisqu’il s’agit d’un contrat de cession de droits : l’auteur cède à l’éditeur l’ensemble de ses droits patrimoniaux sur une ou plusieurs œuvres pour permettre à ce dernier de fabriquer des exemplaires physiques ou numériques.

L’œuvre pourra être, au choix, des paroles, une composition musicale, un arrangement ou une adaptation (cover).

L’auteur cède certes l’ensemble de ses droits, mais exceptions faites :

  • De son droit moral, incessible,
  • Du droit d’adaptation audiovisuelle qui doit faire l’objet d’un contrat séparé,
  • De ses droits cédés à la SACEM.

Les droits sont généralement contractuellement cédés pour la durée des droits d’auteur et pour le monde entier. Toutefois, l’auteur peut tout à fait négocier une durée plus courte ou un territoire plus restreint s’il le souhaite.

  • La SACEM

Même si le contrat d’édition est synallagmatique, en matière musicale, la relation est tripartite : l’éditeur, l’auteur… et la SACEM. 

Sans revenir sur la nature et les fonctions de la SACEM, il convient de rappeler que c’est en effet elle qui collecte :

  • Le droit de reproduction mécanique pour les droits collectés lors de la fixation d’une œuvre (enregistrement ou téléchargement)
  • Le droit d’exécution publique pour les droits collectés lors de l’interprétation d’une œuvre en concert, à la radio, à la TV ou sur Internet,
  • Le droit radio-mécanique pour les droits collectés lors de la fabrication de supports enregistrés par les radios et télévision et leur diffusion.

Elle reverse ensuite les sommes collectées de la manière suivante :

  • Les droits d’exécution publique et radio-mécaniques sont répartis entre auteurs, compositeurs et éditeurs selon le règlement de la SACEM : 4/12e, 4/12e, 4/12e pour les premiers, 25%, 25%, 50% pour les seconds.
  • Les droits de reproduction mécanique sont répartis selon le partage prévu par les parties dans le contrat (souvent 50/50).

Au final, très peu de sommes transitent directement de l’éditeur à l’auteur : il s’agira des revenus relatifs à l’édition graphique (vente des partitions, reproduction du titre ou des paroles sur un support), à la synchronisation (intégrer une musique existante ou un extrait de cette musique à un format vidéo notamment BO d’un film ou d’un jeu vidéo), et aux samples (emprunt d’un extrait d’un autre titre).

Enfin, certains modes d’exploitation sont confiés à la SACEM mais nécessitent toutefois une autorisation préalable de l’auteur et de l’éditeur : l’arrangement (modification de la musique) et l’adaptation (traduction des paroles).

  • Rôle de l’éditeur musical

Le rôle de l’éditeur musical est de promouvoir l’œuvre créée par l’auteur.

Initialement, cette promotion s’exerçait en tentant de placer les partitions auprès des bals, afin que ces derniers interprètent l’œuvre.

Aujourd’hui, l’édition graphique est une obligation de résultat pour l’éditeur qui reste devoir retranscrire, fabriquer et commercialiser les œuvres musicales sous forme de partitions ou de songs books.

Par ailleurs, la loi impose à l’éditeur d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale.

Il s’agit de l’obligation principale de l’éditeur, celle qui conditionne l’existence de la relation contractuelle.

Si l’auteur peut prouver que l’éditeur a failli à cette obligation, il pourra obtenir la rupture du contrat.

L’exploitation phonographique est devenue le mode principal d’exploitation des œuvres musicales : historiquement, il s’agissait de trouver un interprète, aujourd’hui il s’agira plutôt de trouver un producteur à l’auteur.

La synchronisation d’œuvres audiovisuelles ou de jeux vidéo est également un outil important : le groupe IMAGINE DRAGONS dont les titres sont présents dans nombre de bande-originales de films ou de jeux vidéo en est un parfait exemple. Le titre RADIOACTIVE, pour ne citer que celui-ci, a été utilisé près d’une dizaine de fois, du jeu Assassin’s Creeds III à la série Les 100, participant ainsi à la notoriété du groupe en Europe.

II – L’éditeur phonographique : au service de l’enregistrement

L’édition phonographique désigne la branche de l’édition consacrée à la production et à la commercialisation des enregistrements musicaux sur supports physiques et/ou virtuels.

Concrètement, l’éditeur phonographique fait fabriquer des disques ou des fichiers numériques et les exploite commercialement.

En effet, l’industrie phonographique peut schématiquement se diviser en trois activités :

  • La production phonographique, le producteur étant celui qui prend l’initiative et la responsabilité de la première fixation sonore (ce qui signifie prendre le risque financier d’investir dans l’enregistrement) ;
  • L’édition phonographique qui consiste à finaliser l’opération en procédant à la publication et à la diffusion des enregistrements, c’est-à-dire le pressage des supports, l’impression des jaquettes et pochettes, le paiement des frais SDRM, etc…
  • La distribution qui consiste à mettre les exemplaires à destination du public (qu’il s’agisse de mettre des supports physiques dans des bacs ou de proposer des fichiers en streaming ou en téléchargement).

L’interlocuteur de l’éditeur phonographique est donc le producteur ou l’artiste auto-produit.

Pour permettre au producteur la mise à disposition du public des enregistrements, l’artiste lui cède l’intégralité de ses droits sur son interprétation, ce qui fait du producteur le titulaire de l’ensemble des droit sur la fixation, la fabrication, la production et la commercialisation ainsi que le propriétaire du support matériel (le master).

Toutefois, tous les producteurs n’ont pas nécessairement le réseau suffisant pour procéder à la commercialisation ; c’est la raison pour laquelle certains préfèrent confier à un professionnel le soin de la publication et de la diffusion : l’éditeur phonographique.

Le contrat entre le producteur et l’éditeur phonographique est généralement appelé un contrat de licence.

Il convient de souligner que l’éditeur phonographique délèguera lui-même vraisemblablement la diffusion et la promotion à un distributeur.

  1. Le contrat de licence

Il s’agit du contrat par lequel le producteur phonographique va confier à un éditeur phonographique communément appelé le licencié, la charge de la fabrication des exemplaires, du paiement des droits SDRM, de la publication et de la promotion auprès du public.

Il ne s’agit toutefois pas d’un contrat de cession de droits : « licence » est un terme juridique synonyme de location.

Le producteur concède au licencié les droits qu’il a reçus de l’artiste pour une durée limitée, généralement courte (3/5 ans) ; il en reste donc propriétaire.

Le producteur ne pouvant donner plus que ce qu’il a reçu, le contrat de licence consistera à concéder ce qui lui a été cédé, en veillant à faire correspondre l’ensemble des points juridiques, notamment le territoire et la durée.

Le licencié exigera une garantie d’éviction de la part du producteur.

  • Le rôle de l’éditeur phonographique

Le rôle principal du licencié est l’exploitation phonographique, c’est-à-dire la commercialisation physique ou numérique des enregistrements.

Les éditeurs disposent généralement des moyens et du réseau nécessaires pour assurer la commercialisation d’un enregistrement, ce qui facilitera l’exploitation.

De surcroit, conclure un contrat de licence permettra au producteur de concentrer ses investissements sur la production du master.

Dûment muni des droits nécessaires, le licencié pourra procéder à la fabrication des exemplaires et au règlement des droits SDRM correspondants.

Il devra également veiller à la compatibilité des enregistrements au niveau attendu par les différentes plateformes de streaming et de téléchargement.

En contrepartie de la concession des droits, le licencié versera une redevance au producteur, assise sur le prix de vente en gros de chaque exemplaire.

***

L’éditeur musical et l’éditeur phonographique n’évoluent pas dans les mêmes sphères et n’interagissent pas avec les mêmes interlocuteurs ; toutefois, l’avènement des auteurs-compositeurs-interprètes auto-produits a parfois conduit à la concentration des contrats sur une même tête, entrainant une confusion lorsque l’auteur régularise l’ensemble des contrats nécessaires à sa carrière.

Dans cette hypothèse, une seule et même personne pourra être amenée à contracter simultanément avec un éditeur musical et avec un éditeur phonographique. Et considérer à bon escient qu’il n’y a pas à choisir entre avoir un éditeur ou avoir un éditeur !


[1] Jean-François BERT « L’édition musicale » IRMA 2004

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