Apple est un cas d’école dans le monde de la distribution de contenus musicaux en ligne.
La société californienne ne s’est pas contentée de dominer le marché des lecteurs mp3, car en y adjoignant un outil de synchronisation, le logiciel iTunes, dans lequel figure un magasin de musique en ligne, elle a petit à petit modifié les habitudes de téléchargement des internautes.
Ainsi, tout appareil – hardware – vendu par la société est nécessairement synchronisé à un logiciel – software – par le biais d’un identifiant et d’un mot de passe – le compte utilisateur.
A l’origine, le système était complètement fermé, les fichiers musicaux étant protégés par des DRM (Digital Rights Management). Ces petites protections empêchaient les utilisateurs de lire des fichiers musicaux sur d’autres appareils que ceux connectés à leur propre compte.
Il n’était question ni de partage, ni d’échange.
Mais le marché a mûri et la plateforme est devenue leader en la matière, tout comme les appareils, qui au fil des générations ont conquis toutes les générations. Et les DRM ont disparu des fichiers musicaux.
Pourtant, Apple n’a pas totalement abandonné les DRM pour autant.
A vrai dire, elle est l’une des sociétés au monde qui en utilise le plus.
Certes, elle a fait fi de cette protection pour la musique face à un marché aux bases solides et dans lequel le partage de fichiers semble désormais moins dommageable.
Mais les e-books, les séries TV, les films, et surtout les applications mobiles sont toujours protégés à l’aide de ces fameux DRM.
Les DRM sont pourtant souvent contournés, et particulièrement décriés par les consommateurs, alors qu’ils sont en quelque sorte le secret de la réussite du modèle économique de la firme à la pomme.
Il y a d’ailleurs fort à parier que le but de ces protections était moins de lutter contre le piratage que de viabiliser un modèle économique.
En France, la lutte contre le piratage s’est vue assortie d’une Haute Autorité qui tente de faire régner la loi dans un monde où les transferts illégaux de fichiers sont monnaie courante : la HADOPI – Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet.
Pour en résumer les fonctions, la HADOPI a pour mission de surveiller les transferts de fichiers et de mettre en garde les gros utilisateurs de peer-to-peer et autres bittorents.
Si l’utilisateur mis en garde ne calme pas ses ardeurs, la HADOPI peut recourir au juge pour obtenir la coupure de l’accès internet de l’utilisateur, mais pas les prélèvements de son opérateur bien sûr.
Cet organe aurait pu séduire Apple à de nombreux égards.
Pourtant, en fin d’année 2010, la pomme a attaqué le décret fondateur de la HADOPI du 29 décembre 2009 devant le Conseil d’Etat français et en sollicite l’annulation.
Rappelons la lettre du droit :
Dans le décret, aussi bien que sur le site internet HADOPI, il est clairement précisé que « le collège (de l’Hadopi) délibère notamment sur…
• 13° Les procédures applicables en matière d’interopérabilité des mesures techniques mentionnées à l’article L. 331-32• 15° Les saisines pour avis en matière d’interopérabilité des mesures techniques et d’exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins mentionnées à l’article L. 331-36 ; »
Et l’article L.331-32 du Code de la Propriété Intellectuelle ainsi visé, dispose :
« Tout éditeur de logiciel, tout fabricant de système technique et tout exploitant de service peut, en cas de refus d’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité, demander à la Haute Autorité de garantir l’interopérabilité des systèmes et des services existants, dans le respect des droits des parties, et d’obtenir du titulaire des droits sur la mesure technique les informations essentielles à cette interopérabilité. […] On entend par informations essentielles à l’interopérabilité la documentation technique et les interfaces de programmation nécessaires pour permettre à un dispositif technique d’accéder, […] à une œuvre ou à un objet protégé par une mesure technique et aux informations sous forme électronique jointes, dans le respect des conditions d’utilisation de l’œuvre ou de l’objet protégé qui ont été définies à l’origine. »
Qu’est ce que la loi entend par l’interopérabilité ?
Tout simplement la possibilité pour un contenu numérique, un logiciel, d’être exécuté et utilisé sur n’importe quel appareil ou système technique.
Concrètement, un logiciel respecte le principe de l’interopérabilité s’il peut être exécuté à la fois sous Windows, Mac OS et Linux par exemple.
Un service web respecte le principe de l’interopérabilité s’il n’est pas volontairement et commercialement restreint à un navigateur web en particulier.
Un principe qui vise à prévenir tout monopole de marché qui pourrait être opéré par un fabricant de logiciel ou de système technique fermé.
Mais qu’est-ce qu’Apple avait à craindre de cette disposition ?
Les biens dématérialisés que la firme de Cupertino commercialise peuvent être exécutés sur n’importe quelle plateforme hardware.
Les fichiers vidéos sont proposés dans un format standard. De même que les livres numériques qui sont vendus au format e-pub, un standard lisible sur n’importe quelle tablette.
Apple craignait en réalité pour ses DRM, ses outils de cryptage maison qui visent à prévenir tout piratage d’un fichier, mais qui en contrepartie ne peuvent être décodés que par son logiciel iTunes.
Ce sont donc les DRM et non les contenus eux-mêmes qui ne sont pas interopérables entre différents appareils.
Et c’est pourquoi Apple craint pour son écosystème fermé.
Le combat d’Apple pouvait sembler vain et si l’on en croit les arguments développés à l’appui de cette requête ; il semblait évident que la firme de Cupertino n’obtiendrait pas gain de cause et en ferait pas tomber HADOPI aussi facilement.
Entre irrégularités de procédure dans la création de la HADOPI, et non-conformité avec les textes européens, il y a finalement peu de références au problème de l’interopérabilité dans les moyens de la requête.
Le combat semble plus orienté sur les textes fondateurs de la HADOPI et leur conformité est ainsi critiquée.
Mais Apple cherchait-elle réellement à détruire HADOPI ?
Certainement pas.Car c’est seulement sur la question de l’interopérabilité, soulevée dans un seul argument de la requête, qu’Apple voulait obtenir une réponse.
Le Conseil d’Etat n’a effectivement pas donné raison à Apple sur la non conformité des textes fondateurs de la HADOPI et a estimé que « le décret incriminé ne comporte aucune disposition prise sur le fondement de dispositions législatives qui seraient elles-mêmes contraires à l’article 56 et 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne garantissant respectivement le principe de libre prestation de services et celui de libre circulation des marchandises. »
Le Conseil d’Etat rappelle que l’HADOPI n’a pas pour mission de s’attaquer aux DRM qui ne sont pas des procédés techniques interdits et que la Haute Autorité ne remettra pas en cause le principe de libre prestation de services.
Un débouté certes. Mais un argumentaire dont la teneur suffit à rassurer la pomme sur la pérennité de son écosystème.
Les DRM ne seront pas sanctionnés par la HADOPI. N’est donc pas encore arrivé le jour où un e-book acheté sur l’iTunes Store sera lisible sur un Kindle.
La loi HADOPI est-elle pourtant la seule réglementation à craindre dans le monde de la dématérialisation des biens culturels ?
Pas si sûr…