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HADOPI Épisode II – Les défenseurs d’HADOPI contre-attaquent

Adoptée le 12 mai 2009 par l’Assemblée Nationale puis le lendemain par le Sénat, la loi HADOPI n’a cependant pas résisté au couperet du Conseil Constitutionnel.

En effet, suite à de multiples controverses sur la constitutionnalité de la procédure de suspension de connexion Internet, le conseil Constitutionnel a tranché et a censuré la majeure partie du projet de loi, le vidant alors de sa substance.

Le conseil constitutionnel a aussi rappelé dans sa censure l’impossibilité qu’à une AAI de couper un accès internet et l’obligation de passer par un juge.

La loi, dépourvue des articles censurés, a été promulguée au journal officiel le 12 juin 2009.

La puissance de la loi HADOPI, amputée de sa mesure phare, se trouvait alors sensiblement amoindrie.

Néanmoins, les défenseurs de cette loi ne comptaient pas en rester là et sont parvenus à faire adopter la loi contre le téléchargement illégal, dite « HADOPI 2 ».

2eme Épisode – HADOPI II Du 28 Octobre 2009
Elle prévoit que lorsque l’infraction de contrefaçon est commise au moyen d’un service de communication au public en ligne, les personnes coupables peuvent être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l’accès à internet pour une durée maximale d’un an, assortie de l’interdiction de souscrire à un autre fournisseur d’accès.

Désormais, la suspension de l’accès à internet est donc érigée en peine complémentaire aux peines encourues en cas de contrefaçon : 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende.

Ce qui signifie que le contrefacteur en ligne peut, en fonction de la gravité des faits, être condamné non seulement à de la prison et une amende, mais aussi à la suspension de son accès à internet. Etant précisé que dans les cas les moins graves, le tribunal pourra statuer sous la forme d’ordonnance pénale (procédure simplifiée qui permet au juge de prononcer la condamnation infligée au contrevenant, sans débat contradictoire.)

Il est d’ailleurs amusant de rappeler que l’ONU a reconnu le droit à ne pas voir son accès Internet coupé par un gouvernement comme un droit de l’homme fondamental. Le rapport de l’ONU cite expressément la France et l’Angleterre qui ont mis en place des dispositifs visant à couper l’accès Internet de ceux qui téléchargent illégalement.

Le rapporteur de l’ONU considère que :

« couper l’accès Internet des utilisateurs, peu importe la justification fournie, et ceci inclut les lois concernant la violation des droits à la propriété intellectuelle, est disproportionné et qu’il s’agit d’une violation de l’article 19, paragraphe 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. »

La loi Hadopi 2 précise en outre que le manquement du titulaire de l’accès à son obligation de veille n’a pas pour effet d’engager sa responsabilité pénale. La loi prévoit néanmoins qu’en cas de négligence caractérisée, (l’abonné, mis en cause par son IP, qui a laissé des tiers télécharger des fichiers illicites au moyen de sa connexion internet) le titulaire de l’accès pourra voir son accès à internet suspendu, et condamné à une contravention de la cinquième classe (amende n’excédant pas 3000 euros).

Ainsi, l’internaute qui ne protège pas son accès personnel à l’internet via les Clés WEP et autres mots de passe de connexion obligatoire malgré les deux premiers avertissements de l’HADOPI, pourra être sanctionné sur le fondement de la « négligence caractérisée ».

Enfin la loi Hadopi 2 avait prévu la possibilité pour les victimes de contrefaçon de demander, dans le cadre de la procédure pénale simplifiée, des dommages et intérêts. Mais cette disposition n’étant pas assez précise, le Conseil constitutionnel l’a censuré dans sa décision en date du 22 octobre 2009.

La loi HADOPI 2 adoucit également les peines infligées au contrevenant et précise que l’infraction sanctionnée d’une suspension de l’abonnement internet ne figure pas au casier judiciaire de l’internaute pirate, ni l’infraction de négligence caractérisée.

Les Dérives Liberticides
L’envie de sombrer dans une dérive liberticide n’est pas uniquement française :

Le 19 janvier 2012, le site MEGAUPLOAD est fermé par le FBI, et son dirigeant emprisonné: ce site offrait à ses utilisateurs un espace de stockage sécurisé pour les fichiers volumineux (les films et les séries, notamment) accessible gratuitement depuis n’importe quel ordinateur via une URL communiquée après transfert, ainsi qu’une solution de streaming payante après quelques dizaines de minutes de visionnage. Son dirigeant est accusé d’avoir entrainé plus de 500 millions de $ de perte pour les ayants droits.
En Belgique, la SABAM qui est l’équivalent de la SACEM (SOCAN?) a été tentée de demander à un FAI de filtrer et de bloquer les communications électroniques pour protéger des droits d’auteur. Dans cette affaire, la SABAM avait constaté que les internautes utilisant les services de Scarlet et téléchargeaient sur Internet sans autorisation et sans paiement des droits des oeuvres reprises dans son catalogue au moyen des réseaux “peer-au-peer”, et avait obtenu en justice que le fournisseur d’accès à Internet Scarlet surveille les communications de ses abonnés, pour bloquer les échanges non autorisés de fichiers musicaux protégés.
La société SCARLET avait fait appel en mettant en avant les obstacles techniques mais aussi la non conformité de cette injonction avec l’article 15 de la directive de 2000 sur le commerce électronique qui prohibe toute surveillance générales des communications sur le réseau, et les atteintes à la protection des données personnelles. Une ordonnance judiciaire déclarée illégale par la CJUE.
Cet arrêt est d´une grande importance puisqu’il met un frein aux ardeurs européennes.

En effet, le paragraphe 53 de l’arrêt Sabam du 24 novembre 2011 dispose que :

D’autre part, ladite injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d’information puisque ce système risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entraîner le blocage de communications à contenu licite. En effet, il n’est pas contesté que la réponse à la question de la licéité d’une transmission dépende également de l’application d’exceptions légales au droit d’auteur qui varient d’un État membre à l’autre. En outre, certaines œuvres peuvent relever, dans certains États membres, du domaine public ou elles peuvent faire l’objet d’une mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs concernés.

En clair, la CJUE estime que tout filtrage de contenus sur Internet ne peut être imposé légalement que s’il est certain qu’il ne bloque que les contenus dont la diffusion est illégale. Mieux, en rappelant que « la réponse à la question de la licéité d’une transmission dépend également de l’application d’exceptions légales », la CJUE rappelle que la violation des droits d’auteur dépend de chaque situation. La loi accorde des exceptions légales aux citoyens, et toute mesure de filtrage qui aurait pour effet de priver l’utilisateur de la jouissance de ces exceptions serait disproportionnée.

Or, les ayants droit veulent obtenir des tribunaux qu’ils bloquent des sites entiers, tels que MegaVidéo, MegaUpload ou RapidShare, au prétexte qu’ils seraient majoritairement utilisés pour pirater. Mais ces sites ne sont pas illégaux en soit, et diffusant aussi des contenus licites, c’est bien un filtrage beaucoup plus chirurgical qu’il faudrait réaliser.

On sanctionne une solution technique, on lutte contre « la forme ».

Pour pouvoir déterminer à quel moment le vecteur technique est illicite, il faudrait inspecter les contenus.

Mais cela porterait atteinte au droit à la protection des données personnelles, ce qu’a tenté de faire le traité ACTA au niveau international.

A suivre…

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