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La définition du livre numérique

Les écrans tactiles ont changé notre quotidien.

Pourtant, nous étions déjà entourés d’écrans en tous genres mais la technologie tactile multipoints telle que développée par Apple il y a maintenant 5 ans a bouleversé le rapport entre l’humain et l’écran.

Moins passif, l’utilisateur peut ainsi utiliser l’écran comme un objet du quotidien et c’est lui qui dicte les règles. Les gestes tactiles sont nombreux et leurs incidences sur le comportement de l’appareil sont aussi vastes que l’imagination des développeurs d’applications.

C’est dans ce mimétisme que les utilisateurs ont perçu un rapprochement à la machine dans le quotidien.

Désormais, il n’est plus nécessaire de cliquer sur un bouton pour feuilleter un livre sur sa tablette, un glissement de doigt sur l’écran suffit.

Ces gestes sont en partie responsables de l’essor de ces appareils de lecture et de leurs magasins en ligne associés qui proposent à la vente des versions numériques d’ouvrages papier.

Versions numériques ? Pas si sûr…

Il serait plus juste de parler de versions numérisées puisqu’il existe aujourd’hui bien peu de créations exclusivement conçues pour des supports informatiques.
Cette différence, les utilisateurs l’ont très vite assimilée, même inconsciemment.

Il suffit pour s’en rendre compte, de parcourir les pages de commentaires d’acheteurs de livres numériques pour constater leur grogne face à la politique tarifaire des éditeurs.

Les lecteurs ont bien compris que la plupart des ouvrages proposés ne constituaient qu’un transfert d’un ouvrage papier sur un support numérique.
Comment expliquer alors que le prix soit souvent plus élevé que les versions poches disponibles en librairies ?

La réponse tient au fait que les éditeurs littéraires sont jusqu’alors partis d’un postulat simple : le prix du livre numérique sera le même que celui d’un livre papier grand format, tel que pratiqué pour une première édition, peu importe que l’œuvre ait 6 mois ou 10 ans.
Postulat qui n’est pas forcément suivi par tous puisque la politique tarifaire dépend de chaque éditeur, qui est libre sur ses magasins en ligne de choisir le prix qu’il souhaite.

A ce flou artistique se mêlent les théories très conservatrices du Syndicat National de l’Edition qui affirme que le livre numérique ne sera jamais qu’une édition secondaire de l’œuvre originale.
La question est surchargée d’informations contradictoires où chacun y va de son petit combat, oubliant ainsi ce qui fait la raison d’être d’un livre : ses lecteurs.

Et sur la question du prix, il serait temps de se demander combien vaut un livre numérique plutôt que de regarder uniquement combien il coûte.
Et ce n’est pas le législateur qui aidera les lecteurs à réfléchir à la valeur d’un livre immatériel.

Par une loi du 26 mai 2011, étayée par un décret d’application du 11 novembre 2011, le législateur a souhaité clarifier les modes de fixation du prix d’un livre numérique.
Ce texte fut également l’occasion de donner une définition du livre numérique.
Et c’est sur ce point, notamment, que cette loi nous intéresse au plus haut point puisqu’il n’existait jusqu’alors aucune définition juridique du livre numérique.

 

La loi le définit désormais de la manière suivante :

« Une œuvre de l’esprit créée par un ou plusieurs auteurs et à la fois commercialisée sous sa forme numérique et publiée sous forme imprimée ou, par son contenu et sa composition, susceptible d’être imprimée, à l’exception des éléments accessoires propres à l’édition numérique ».

Là où la loi aurait pu porter un regard technologiquement avancé sur l’édition numérique, elle apporte une définition timide peut-être dictée par une volonté de ne pas bousculer les acteurs, déjà frileux, de ce secteur.

N’est envisagé par la loi que le livre homothétique, c’est-à-dire la reproduction, sur un écran, d’un livre imprimé. Le livre dans sa version numérisée se voit ainsi promu au rang de livre numérique alors que devraient être désignées par le terme « numérique », les créations purement destinées au marché de l’édition numérique.

Le texte de loi n’envisage pas la création numérique pure, les termes « imprimés » et « impression » restreignant clairement l’étendue de la définition.
Un texte qui ne participera certainement pas d’une évolution des mentalités et qui risque à coup sûr d’agrandir le fossé qui commence à se creuser entre éditeurs, auteurs et lecteurs.

Le dialogue entre les éditeurs et les auteurs, loin d’être pacifique, se fonde toujours sur une existence secondaire de l’édition numérique.
Si la loi ne considère pas non plus le livre numérique comme une œuvre première, il y a fort à parier que les auteurs continueront à avoir des exigences qui ne tiennent pas compte de la chaîne économique de ce marché.

Une chaîne économique qui fait certes fi de l’imprimeur et du papier, mais dans laquelle d’autres métiers ont à intervenir : programmeur, développeur, distributeur numérique, etc…
Des intervenants dont on pense trop souvent que leurs prestations ne coûtent rien car elles concernent des produits immatériels.
Il en va de même du côté des lecteurs qui se conforteront dans leur idée qu’un livre dématérialisé vaut moins qu’un livre papier.

La valeur a bien du mal à rivaliser avec le prix.

L’émergence d’auteurs résolument numériques devient fortement compromise.
Cette nouvelle loi tend à différencier l’auteur d’une œuvre imprimée et l’auteur tout numérique.
En ne légiférant que pour l’auteur d’un livre initialement destiné à l’impression papier, elle fragilise d’autant l’auteur numérique qui ne peut pas se sentir concerné par ce texte.

Toutefois, l’on sent dans cette définition une volonté, aussi infime soit-elle, de ne pas totalement écarter les auteurs qui s’affranchiraient du papier.
Ainsi, sont aussi considérées comme des livres prétendument numériques, des créations purement digitales à la condition qu’elles soient susceptibles d’être imprimées.

Une condition du papier, légalement posée, et pourtant déjà obsolète.
La question reste entière.

En droit français, le livre numérique reste indéfini. Est-ce un logiciel ? Est-ce une œuvre multimédia ?

Voilà une loi qui risque de freiner les ardeurs des fervents défenseurs d’une distinction essentielle entre livre numérisé et livre numérique.
Voilà une loi qui pose des principes de fixation de prix sur des bases d’ores et déjà mondialisées et externalisées, en fermant les yeux sur la réalité du marché.

Mais ceci est un autre débat que nous aborderons dans le prochain arrêt de notre Omnibus Droit consacré à l’édition numérique.

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