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Soyez heureux : nous marchons vers un « Internet civilisé » !

Il y a un peu plus d’un an, le Président SARKOZY prêchait pour un « internet civilisé », afin d’éviter qu’Internet soit une zone de non-droit. Il mettait au premier plan la nécessaire protection du droit d’auteur, afin, non seulement de « défendre la création artistique et les intérêts des auteurs, mais de défendre une authentique société de liberté, où la liberté de chacun est fondée sur le respect des droits des autres. »

Une notion qui avait déjà, en son temps, séduit le Président du SNE.

Concrètement, cela s’est tout d’abord traduit dans notre arsenal juridique par les lois jumelles HADOPI, créant une riposte graduée face aux pirates du Web.

Lorsqu’une personne télécharge illégalement un contenu, lui est adressée tout d’abord un mail de recommandation, puis une lettre recommandée.

Il était initialement prévu que le troisième volet de cette sanction graduée soit la suspension de l’accès internet de l’abonné. Toutefois, ce dernier pouvoir a été annulé par le Conseil Constitutionnel qui a rappelé que toute sanction privative de liberté ne pouvait être prononcée que par un juge.

Mais il est en fait impropre de dire que l’HADOPI sanctionne les pirates : ne seront sanctionnés que les abonnés à Internet, la personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne, nous dit la loi.

Ainsi, la personne éventuellement sanctionnée n’est pas nécessairement le contrefacteur mais simplement l’abonné à l’accès internet : or, celui qui règle l’abonnement n’est pas forcément celui qui l’utilise.

Civiliser Internet semble donc passer par l’instauration d’une responsabilité pour autrui.

De plus, la fermeture du site MEGAUPLOAD aux Etats-Unis a relancé la discussion sur l’opportunité et la cohérence d’HADOPI.

Si le Gouvernement en place souhaite renforcer notre arsenal législatif actuel pour plus de sévérité, les opinions sont divisées chez les candidats à l’élection présidentielle : d’aucuns souhaitent taxer les fournisseurs d’accès et les fabricants de matériels, un autre préconise une licence globale sur les échanges privés sur internet.

Il sera d’ailleurs intéressant de commenter ces propositions dans un prochain billet.

En toute hypothèse, force est de constater que la législation internationale va plutôt dans le sens de la répression.

Demain, l’internet civilisé prendra la forme d’ACTA.

Qu’est-ce que ACTA ?

ACTA – Anti Counterfeiting Trade Agreement – est un traité discret, d’aucuns diront secret dont les négociations ont commencé en 2007 et ont abouti à une ratification le 4 octobre dernier par huit pays : les Etats-Unis, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada, la Corée du Sud le Maroc et Singapour.

L’union européenne, qui n’est pas encore signataire, a manifesté un vif enthousiasme.

L’objet de cet accord est le renforcement de la coopération internationale en matière de lutte contre la contrefaçon notamment numérique. Objectif louable.

Pourtant, cet accord a été vivement critiqué, tout d’abord en raison de l’opacité de ses négociations dont l’existence a été révélée par le site Wikileaks en Mai 2008.

Toutefois, ce sont là encore les moyens qui seront stigmatisés.

D’après Catherine TRAUTMAN, députée européenne interrogée par OWNI :

« dans sa formule initiale (la version finale a été atténuée), plutôt que de monter une usine à gaz, une sorte de HADOPI mondiale, l’idée sous-jacente d’ACTA en matière d’internet semblait plutôt de faire pression directement sur les intermédiaires (FAI, hébergeurs), en rabotant le principe de « safe harbor » (la présomption de non-responsabilité des intermédiaires techniques vis-à-vis du contenu qu’ils transportent). »

Il est vrai que les moyens prévus par ACTA ne sont pas sans rappeler ceux qu’HADOPI a commencé à distiller en France, même s’ils vont beaucoup plus loin :

  • Coupure de l’accès internet après trois mises en demeure
  • Mise en jeu de la responsabilité des fournisseurs d’accès en les rendant responsables des contenus
  • Inspection des contenus informatiques aux frontières et destruction des supports –ordinateurs, MP3, etc..) si découverte de fichiers illégaux
  • Possibilité pour les ayants-droits d’avoir accès aux informations personnelles d’un internaute s’il est suspecté d’avoir téléchargé du contenu illégal, et ce sans avoir recours à un juge.

Certaines lois européennes prises ces dernières années laissent également à penser que ACTA, bien que non officiellement signé, commence furtivement à s’installer dans le droit positif des pays de l’Union.

La défense du droit d’auteur justifie-t-elle cette dérive liberticide ?

La juste rémunération des ayants-droits doit-elle se faire au mépris de la plus élémentaire protection du citoyen, celle d’être entendu par un juge et de se défendre ?

Certains craignent même qu’ACTA ne conduisent à des dommages collatéraux excessifs et néfastes.

Prenons l’exemple des transferts de médicaments génériques qui, lorsqu’ils transitent par des pays où le brevet est encore valable, pourraient être constitutifs de contrefaçon.

D’autres prévoient encore que l’obligation d’utiliser des DRM dans la distribution de fichiers numériques signerait la perte des formats et des logiciels libres.

Devons-nous laisser nos craintes, aussi légitimes soient-elles, nos manque-à-gagner, aussi cruels soient-ils, justifier l’application d’un régime juridique empiétant gravement sur nos droits universels ?

Faut-il civiliser internet ?

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